Une noisette, un livre
L’étrange et drolatique voyage de ma mère en Amnésie
Michel Mompontet
C’est
un regard qui disparait, réapparait, se retrouve, se perd. C’est une mémoire
qui joue à cache-cache, une pensée qui s’évanouit, un geste anodin qu’on
n’arrive pas à comprendre. Puis soudain, le sourire revient, les souvenirs se
rapprochent, la conversation illumine ces instants rassemblés… jusqu’à la
prochaine absence… C’est une altération qui est au départ invisible, comme
toutes ces maladies sournoises, qui franchissent des portes au hasard, qui,
parfois, arrivent à passer par une infime ouverture de fenêtre et s’installe
dans le corps, parasite l’esprit, fait basculer dans l’incertitude le plus
vaillant et réactif des êtres humains. C’est l’Alzheimer et ses dérivés qui gouvernent
sans pitié le pays de l’Amnésie.
Qui
n’a pas été en contact avec une personne souffrant de cette pathologie ?
Mais quand il s’agit d’un très proche, c’est une déchirure que de le voir
s’éloigner peu à peu du monde du vivant.
C’est
ce qu’a vécu le journaliste Michel Mompontet avec sa chère maman Geneviève, et,
il a choisi de raconter les derniers mois passés avec elle, elle qui venait de
recevoir dans ses doigts, dans son cerveau, un billet aller simple dans cette
contrée de la cécité psychique progressive.
C’est
un récit qu’on ne peut raconter. Il se lit. Tout simplement. Il se lit parce
qu’on réalise ô combien la mère de l’auteur a été une force de la nature, il se
lit parce qu’on savoure l’amour entre un fils et sa génitrice, il se lit parce
qu’il montre le rôle des aidants dans la prise en charge des malades, il se lit
parce qu’on applaudit la décision de Michel Mompontet de tout tenter pour que
sa mère puisse encore profiter de sa maison, de son entourage, il se lit parce
qu’on n’occulte pas les petites « amitiés perfides » avec certains
membres d’une famille, il se lit parce qu’il a l’accent du sud-ouest, il se lit
parce que l’on passe du rire aux larmes et des larmes au rire.
Un
printemps qui commence, un été qui réchauffe, un automne qui faiblit, un hiver
où l’on s’éteint, c’est un concerto de quatre saisons avec une harmonie de
vocables pour un allegro de tendresse et un largo d’affliction. « Mon
œil » a de la plume, une plume qui s’envole dans le firmament d’un ciel
étoilé où désormais Geneviève brille de toute sa générosité.
« Plongé dans cette
obscurité qui me surprend, je redeviens aussitôt l’enfant qui aimait les
étoiles. Je le retrouve inchangé. Les yeux grands ouverts, je reconnais
immédiatement ce plaisir de boire avec avidité leurs luminescences tremblantes,
plaisir qui cent fois, enfant, me consola et m’émerveilla. Les bruits
minuscules de la vie nocturne du jardin m’accompagnent, microscopiques lutins
musiciens, menant la danse, ils tirent de ma mémoire comme un filet qu’on remonte,
des souvenirs aussi merveilleux qu’anciens. »
« Plus personne
dans cette maison ne fera de carcasses canard à la persillade, comme les femmes
de la famille en faisaient depuis des siècles. Elle a avalé la recette, il n’y
avait pas de copie de sauvegarde. Tandis que je sombre, elle s’envole, sans
rien emporter avec elle, comme un cerf volant sans amarre qui s’évade, léger et
vulnérable. »
« C’est la joie qui
libère la mémoire. C’est la peur qui l’emprisonne. »
L'étrange et drolatique
voyage de ma mère en amnésie – Michel Mompontet – Editions JC Lattès – Avril
2018
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